La
queue
s’étendait
au
delà
de
mon
champ
de
vision
.
Drôle de situation. L’attente statique m’avait fait oublier l’objet de ma venue. J’observe alors les figures droites qui ornent le trottoir. D’un point de vue qui ne serait le mien, on aurait dit une chorégraphie. Comme si l’un était une copie de l’autre. Ça me démangeait de pencher la tête sur le côté, en espérant voir le bout, sortir du cadre. Et si le dos, placardé devant moi, qui ne me donnait pas d’autres choix que le voir, avait la faculté de pensée, qu’est-ce que sa petite voix dirait ?
“Qu’attend-elle ?”
Romanesque histoire, puisqu’il attendait la même chose. Si je n’attends rien, pourquoi suis-je encore debout ? Eux, doivent bien le savoir, la ligne de dos toujours immobile, devant. J’aimerais les entendre rire, qu’ils me prouvent qu’ils ont un visage. J’aimerais qu’ils puissent sentir les pointes aiguisées de l’herbe leur effleurer la peau, qu’ils me prouvent qu’ils ont une poitrine. Je me demande encore, comment décriraient-ils l’amour ? De quelles périphrases se serviraient-ils pour décrire la mort ? Je ne sais pas. Je m’imagine leurs cœurs battants, faisant vibrer la terre. Ils n’étaient pas vivants, je le savais bien: tout de l’amour, jusqu’à la mort, leur était inconnu. Ce n’était que des corps tenus, mais je n’ose pas leur faire face, je n’ose pas les dépasser.
La distraction seule me rendait capable de changer de directions, de leur échapper, m’échapper de ce chaos retenu dont j’étais la seule témoin. Je recueillais une par une toutes les pensées, même les plus insignifiantes, qui fusaient à toute allure dans mon esprit. Comme saisir une mouche en plein vol, je me mettais d’accord avec le hasard pour n’en saisir qu'une seule à la fois. Je demandais à l’écho qui résonnait sur les parois de mon crâne, une réponse. Je n’arrivais plus à me concentrer. Plus que tout, je voudrais qu’ils arrêtent de me regarder avec leur dos difformes et mal tenus. Plus je pensais à leur présence, plus ils devenaient menaçants. C’étaient des magiciens, ils n'apparaissaient comme un, alors que alignés, ils étaient tous cachés l’un derrière l’autre.
Pour fuir l’angoisse de l’extérieur, il ne me restait qu’à tourner mon regard vers l'intérieur. Peut-être allez voir ailleurs, tout en restant chez moi. Dans un autre endroit, à un autre moment, peut-être même dans une autre époque, où cette fois, le frais remplacera la lourde chaleur de la proximité des uns des autres, et ou les arbres et la verdure remplacerai l’air grisâtre de l’air perverti par la foule.
Au début, tout n’est plus. Les couches de noirs se superposent. Mais au rythme de mon pouls, quelques faisceaux scindent les couches obscures, d’abord en deux, en six, puis en dix; jusqu’à ce qu’il n’y ait que de la lumière brillante en face de moi. Petit à petit, les couleurs se joignent par pigments, d’abord le bleu, le rouge, le jaune. Depuis si longtemps, que je n’avais pu être témoin de couleurs aussi vives. Je sens mes sens fonctionner de nouveau, ma mèche sur le front, le caillou dans ma chaussure, le vent sur ma peau, le frais qui m’hérisse les poils, plus rien ne peut m'atteindre.
Pause, puis j’y repense, et je me dis qu’un jour peut-être, on avancera tous d’un pas. Le présent sera rythmé d’un son synchronisé, le son d’une foule qui avancent au même tempo.
Si je pouvais vous faire le dessin de mon imaginaire, là où je suis, je me vois du point de vue du soleil. Ses rayons m’aveuglent, ils sont comme des viseurs pointés sur moi. Je prends conscience de mon corps, de mes membres, de leur mouvance. J’arrive à discerner l’objet que je tiens au creux de ma main gauche ; c’est un parapluie. Il est grand comme une moitié de moi. Il a un manche en bois incurvé et, sur le tissu, des petits carreaux bleus. La raison pour laquelle il était là, apparu, m'était quelque peu floue. Mais c’est comme si je l’avais toujours eu. Alors que je sens des légères braises s’effriter sur mon épaule, je le déploie d’un coup sec. Il me couvre des flammes qui tombent du ciel en ce moment même. Elles ressemblent à des petits bouts de météorites, elles pourraient même venir d’un même grand briquet. J’entends le son poignardant d’une alarme incendie remplacer silence qui, jusque-là, régnait sans grande difficultés. Je cherchais sa source, comme si ça allait l’arrêter. Le bruit ne vient de nulle part, j’ai beau regarder tout autour, d’autres informations viennent polluer ma quête. L’odeur de l’essence se faufilent dans mes narines, déjà habitées par la cendre. La gravité semble régner de nouveau et je sens le béton sec sous mes pieds, comme si aux rythmes de fréquences, il m’écrasait de bas en haut.
Il est temps de revenir là d’où j’ai fui. Je n’ai pas bougé, mais j’ai beaucoup ressenti. J’aimerais deviner là où on m’a emmené, pour qu’un jour j’y revienne.
En attendant, j’attends toujours.